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Du mastiff des « Ménines » de Velazquez au basset de Picasso

Retrouvez tous les épisodes de la série « Des œuvres qui ne manquent pas de chien » ici.
Entre le 17 août et le 30 décembre 1957, Picasso peint cinquante-huit toiles d’après Les Ménines de Velazquez. L’œuvre, qui date de 1656, montre l’infante d’Espagne Marguerite-Thérèse entourée de demoiselles d’honneur – les « ménines » –, d’une femme plus âgée portant un voile, d’un homme en noir, d’un nain vêtu de rouge et d’un chien. Dans un miroir paraissent le roi Philippe IV et la reine Marie-Anne d’Autriche, et, au fond, un chambellan passe une porte. Mais la figure principale est néanmoins celle de Velazquez lui-même, pinceau en main devant sa toile.
L’étrangeté de la composition ayant suscité bien des thèses et Velazquez étant le peintre espagnol ancien le plus illustre, il n’est pas étonnant que son homologue moderne, Picasso, s’empare de son chef-d’œuvre, comme il l’a fait en 1954 des Femmes d’Alger de Delacroix et le fera du Déjeuner sur l’herbe de Manet en 1959.
Au premier plan du Velazquez, à droite, est donc allongé un grand chien au poil ocre. Il paraît sommeiller alors que le nain l’agace du bout du pied. Anecdote pour rompre la solennité et la fixité de l’ensemble ? Loin de là. Ce chien est un mastiff, la race est alors élevée pour la guerre et sert aux conquistadors contre les Indiens en Amérique.
Plus généralement, de grands chiens figurent dans les portraits royaux, symboles de force et de fidélité. Le prototype en est le L’Empereur Charles Quint avec un chien de Titien de 1533. La bête, dogue ou lévrier, a le museau posé contre la cuisse de l’empereur, à hauteur de sa braguette – ce qui n’est pas fortuit. Par la suite, l’association apparaît souvent, jusqu’au portrait de L’Infant Balthazar Carlos de Velazquez de 1635-1636, où l’enfant est flanqué d’un mastiff et d’un lévrier, et aux Ménines donc, où le molosse veille sur l’infante, alors unique descendante de Philippe IV. En excitant le chien, le bouffon tient son rôle de perturbateur autorisé de l’étiquette et contribue à signaler qu’à la date de la toile Marguerite-Thérèse est appelée à régner – ce qui n’adviendra pas en raison de la naissance d’un infant en 1661, qui sera Charles II.
Picasso sait-il tout cela ? Peut-être pas tous les détails. Mais que le chien signifie majesté et pouvoir absolu, il le sent – et le refuse. Cela se voit au traitement qu’il lui inflige. Dans plusieurs variations, le geste du bouffon devient coup de pied au cul de l’animal. Et celui-ci perd sa noblesse. Il se change en basset à courtes pattes ou en animal flasque à tête de renard ou de chat, à trop longue queue, gris bleu ou blanc. La version basset fait allusion à Lump, qui est alors celui de Picasso. Le reste du temps, il s’agit d’une caricature, comme les autres figures des Ménines revues par Picasso. Il les traite par la satire, le grotesque et la dérision. Après le peintre qui honorait la royauté, voici celui qui commet le crime de lèse-majesté. L’histoire de l’Espagne et plus particulièrement de la guerre civile sont l’arrière-plan politique de ces métamorphoses.
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